dimanche 11 décembre 2011

Un roman pluridimensionnel

B-Grandeur ou volonté de dépassement:

"Le plus grand mystère n'est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres, c'est que dans cette prison, nous tirions de nous mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant".(André Malraux, les noyers de l'Altenberg).

Rien n'est plus répréhensible dans l'éthique malrucien que l'attitude passive de l'individu. Aussi longtemps que la machine infernale continue de froisser, de meurtrir la chair humaine, l'Homme est en mesure de riposter, non par des plaintes et des pleurs, mais par une action virile, aventureuse et lucide à la fois. Dans la Condition Humaine, Malraux met à l'épreuve cette "volonté de vivre" selon l'expression de Schopenhauer; volonté instinctive, farouche et rageuse dès lors que l'Homme vit "avec cette tiédeur de mort dans la main". C'est la concomitance de la vie et de la mort, cette double constellation de l'être et du néant, qui est à l'origine de l'action périlleuse, car il ne s'agit pas seulement d'échapper à l'angoisse de la mort, mais aussi de mettre en branle l'énergie constitutive de l'Homme qui n'est, en dernier ressort, que le reflet de sa liberté. Dès le départ, les personnages de Malraux sont embarqués, engagés dans des situations-limites où toute réticence, tout recul devant le risque sont estompés; leur présence active dans le monde révolutionnaire implique un choix décisif et inconditionnel contre les incertitudes du moi ou "le monstre des rêves". C'est que l'Histoire, par le déferlement des faits, incite l'homme désormais à se dépouiller de son égotisme et à s'insérer dans le drame collectif.

Marqués par le sceau d'un destin tragique, les personnages de Malraux n'attendent point de dénouement tout en participant à la révolution car "le tragique sait que si l'ordre des choses est changé, le destin n'est point aboli pour autant" (Saint-Just ou l'irrémédiable in le retour du tragique).

Certes, la révolution est un long itinéraire initiatique jalonné par le meurtre, le sang, la haine et la mort mais à l'intérieur de cette destruction massive, s'englobe et se résorbe tout effort de contestation et de dénonciation contre le visage implacable de la fatalité. Ainsi, le refus de l'ordre impie de l'univers (injustice, misère et oppression sociale) s'érige en une révolte métaphysique, laquelle constitue le soubassement de toute participation héroïque chez les personnages de la Condition Humaine.

Derrière le don de cyanure de Katow à ses camarades de cellule, il y a plus qu'une réponse à un impératif de fraternité, mais aussi une révélation d'un esprit de sainteté et de martyr. De même la précipitation vertigineuse de Tchen sur la pente de la mort, n'est pas une simple délectation morbide et spontanée du suicide, mais elle correspond plutôt à une soif immédiate d'atteindre l'absolu. La conception humaniste de Malraux refuse l'abdication.

Ce qui importe le plus, c'est de "transformer en conscience une expérience aussi large que possible. Malgré la torture, la défaite et la mort, il reste encore une ressource qui consiste à laisser au moins une "empreinte sur la carte", un sillage sur la terre des hommes. D'où l'idée ordonnatrice et cruciale qui anime la volonté du héros malrucien et aiguillonne sa pensée, l'idée du triomphe de l'échec humain.

Dans cette perspective, le protagoniste de Malraux se ressaisit et se retourne contre l'absurdité originelle de la condition humaine. Même si la victoire révolutionnaire lui procure une sérénité de conscience, il recommencera toujours, et avec autant de véhémence, sa révolte inlassable. C'est là que gît incontestablement sa raison d'être d'autant plus que la métaphysique l'emporte sur la politique. À la limite, "il n'appartient pas à la tragédie de résoudre les contradictions, mais de les porter à l'incandescence".(Malraux ou la tragédie de la mort in le retour du tragique).

Dans ce cycle infernal, l'Homme peut puiser son orgueil et sa dignité: là où il se débat désespérément contre la boue de l'existence, il reconquiert sa grandeur. Hemmelrich ne saura découvrir sa "terrible liberté" que lorsqu'il aura adhéré, corps et âme, à l'insurrection. Katow et Kyo iront jusqu'à braver la mort pour ne pas accepter l'ignominie écrasante de la société. N'est-ce pas là une volonté de déité qui s'exprime à travers les personnages de Malraux ?

Devenir Dieu, c'est en quelque sorte dépasser l'humain, faire éclater les cadres de toute limite ontologique. C'est enfin accéder à l'omnipotence. Or, la force des choses montre que l'Homme est acculé au néant, qu'aucune action surhumaine ne saurait renier cette vérité. Quoi qu'il en soit, l'Homme, selon Malraux, doit assumer sa condition jusqu'au bout et en retirer ce qu'elle a de meilleur: la volonté de dépassement.

De l'ambiguïté même de la Condition Humaine, le héros malrucien forge sa volonté et par la suite sa grandeur tragique. Il ressort de tout cela la négation de toute conclusion hâtive ou liquidation facile du désespoir. Dans ce cadre, la pensée de Malraux pousse jusqu'au bout le tragique. Au delà des flaques du sang, des corps mutilés et déchiquetés, des chairs vivantes promises aux chaudières, monte le cri prométhéen du défi dont l'écho se répercute à l'infini. Crever le mur de la solitude "primitive", purger sa conscience de l'angoisse de la mort, s'affirmer furieusement au milieu même de la torture et de la souffrance infligées, bref accomplir ce long "voyage au bout de la nuit", tel est le dessein auquel tend sans cesse la volonté héroïque du protagoniste de Malraux.

Dans l'entrecroisement de l'Histoire et de la métaphysique se déploie un roman tragique. À la lumière d'une analyse au plus près du texte, il s'agira dans ce qui va suivre de replacer la conquête de la mort qu'exhibe ce roman dans un cadre interprétatif au croisement de l'Histoire et de la philosophie.

"Toute lucidité est victoire, même si elle pense la mort, toute, même si elle rencontre la défaite. Dans la conscience tragique, Malraux a toujours vu la seule délivrance possible". (Gaitan Picon, Malraux par lui-même).

Dans quelle mesure cette affirmation critique s'applique-t-elle à la Condition Humaine ? Comment "la conscience tragique" peut-elle s'avérer être comme la seule forme possible du salut humain? Y a-t-il inévitablement une commune mesure entre la défaite, la mort d'une part, et la tragédie d'autre part ? Sans doute, le roman de Malraux offre beaucoup plus qu'une seule réponse: le tragique est une constante thématique qui non seulement s'exprime à travers les personnages, mais aussi éclate dans tous les recoins de l'œuvre. Il semble, toutefois, important d'établir une ligne de démarcation entre la conception de la tragédie antique et le sens de la conscience tragique chez Malraux. Tandis que le héros tragique de l'antiquité apparaît souvent rongé par une faute originelle, hanté par un remords, persécuté sous le poids d'un décret fatal et funèbre ou une malédiction céleste, le héros de Malraux est initialement poussé ou poursuivi par une hantise toute différente: il est à la fois habité par la conscience aiguë de son néant, et la pesée mortelle de l'Histoire. Dans le premier cas, le héros se consume dans sa singularité et sa subjectivité tragiques et la tragédie se fige ainsi dans le plan individuel alors que dans le second cas, le protagoniste ou plutôt sa pensée tragique s'ouvre, à partir de son angoisse intérieure, sur une réalité extérieure ou collective. Cependant, ce qui caractérise spécifiquement le personnage de Malraux, c'est qu'il se présente comme "un type de héros en qui s'unissent l'aptitude à l'action, la culture et la lucidité".

Dans l'univers romanesque de Malraux, la prise de conscience, la lucidité intellectuelle priment toute autre passion. En ceci, le tragique malrucien contraste avec la tragédie antique en tant que celle-ci privilégie, dans sa vision du monde, la passion du héros qui constitue à la longue la source de son aveuglement comme elle est l'effet inéluctable de sa mise à mort. Seulement, la mort ne peut être toujours l'équivalent de la déchéance, de l'échec et de la ruine. Sous l'optique de Malraux, outre qu'elle "transforme la vie en destin", la tragédie de la mort équivaut parfois à un triomphe, une "victoire" sur ce que Kyo appelle "l'ignominie humaine".

À la lumière de cette distinction, la conscience tragique chez Malraux prend une forme héroïque en ce que son héros s'arrache à sa subjectivité du fait que tout ce qui tient à ce "misérable tas de secrets" est fallacieux, et se lance ainsi à la conquête d'une mort qui le dépasse, l'écrase et le rejette.

La Condition Humaine est un champ d'analyse privilégié de ces multiples résonances de la mort héroïque. Chemin faisant, nous tenterons de déceler, à travers le roman, les différents aspects de la pensée tragique de Malraux et surtout appréhender dans son mouvement même cette conquête héroïque qui va de pair avec l'intensité dramatique au niveau du récit.

samedi 10 décembre 2011

Un roman pluridimensionnel

2- l’aspect métaphysique :

La condition humaine  dépasse le cadre restreint de l’Histoire pour s’inscrire dans un ordre métaphysique. Mais il ne faut surtout pas voir dans ce roman une illustration dogmatique d’un système préétabli de l’existence. Il est plutôt une interrogation amère et lancinante sur le destin de l’Homme. Au demeurant, le titre même de l’œuvre suggère catégoriquement cette orientation moraliste et humaniste du romancier. Mais ce titre n’est pas un poncif ; bien au contraire, il pose le primat de la totalité, mais d’une totalité incertaine.

Tout d’abord, Malraux porte son accusation sur le destin éphémère de l’Homme. Ce dernier est perpétuellement séquestré dans le cercle étroit du « bagne terrestre ». L’angoisse de la mort est au cœur de toute prise de conscience. Outre la vanité et l’irréductibilité de la vie humaine, Malraux dénonce la solitude fondamentale et la séparation des consciences des individus. En aucune façon le héros malrucien ne peut briser le mur de la solitude existentielle. C’est au-delà de l’abjection, du sang noir et de cruauté qu’il faut rejoindre peut-être l’ombre de la fraternité.

Enfin, Malraux n’explore la grandeur et la « dignité » humaines qu’au prix du crescendo de la violence du combat et de la souffrance d’autant plus qu’il conçoit l’individu ou l’Homme comme un projet de virtualités et d’efficacités : « Un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il a fait, de ce qu’il peut faire ».

a-      accusation de la condition humaine :

Toute tentative de fuite, toute consolation religieuse sont exclues dans l’éthique de Malraux. L’Homme est implacablement rejeté dans un univers étranger à sa pensée, à ses désirs et à ses aspirations. Le recours à une transcendance divine est un leurre. De même, le refus de participer à cette tragédie cosmique qu’est la condition humaine est un subterfuge ou un faux-fuyant. Car, il y a qu’une seule condition humaine : douleur, solitude, angoisse, torture physique, ignominie, séparation, impuissance et lucidité. Tel est le lot commun des mortels. Ainsi, les personnages de Malraux sont ravalés à remâcher la même question : « que faire d’une âme s’il n’y a ni Dieu ni Christ ? ».

Aucune réponse ne saurait dissiper une fois pour toute cette inquiétude foncière qui ronge continument le protagoniste malrucien. Aussi, ce dernier réagit-il au nom de son échec même et de l’entrainement fatal de sa force. La révolution ne sera qu’un palliatif face à ce vide intérieur. Elle ne sera jamais un accomplissement. A ce niveau, Malraux rompt avec l’optimisme marxiste dans la mesure où il crée une sorte de « crevasse » entre la vision matérialiste de Marx consistant à voir dans la révolution le terme de toute contradiction, et sa propre vision métaphysique qui répudie toute conciliation historique et accentue la nécessité du choix tragique. En effet, ce que Malraux retient de cette pensée communiste, c’est à la fois l’expression de la volonté humaine et le sens de la fatalité historique.

Partout s’étend l’écho tumultueux de la douleur humaine : douleur de Tchen devant sa quête illusoire de l’absolu, crispation nerveuse et pathétique de Gisors devant le cadavre de son fils Kyo, l’étouffement d’Hemmelrich sous le poids de son destin de misère et d’humiliation, attente anxieuse et tragique des prisonniers dont les ombres et les silhouettes se profilent sur le mur infernal de l’abattoir, douleur de May et la veillée funèbre après l’exécution de Kyo et enfin la mort scandaleuse et absurde d’un enfant (le fils d’Hemmelrich).

A ce cri terrible et démentiel de la souffrance humaine, s’ajoute l’amertume de la séparation qui étend son sillage sur les consciences douloureuses. Tout d’abord, la solitude fondamentale que découvre Tchen dans le monde du meurtre forme le premier germe du poison de la condition humaine. C’est là, dans la mort, dans cette région déserte et désolée du cœur humain que Tchen prend lucidement et désespérément conscience de l’écart qui le sépare irrémédiablement du « monde des hommes ». Bien plus, son adhésion à l’action révolutionnaire n’est qu’une forme d’accentuation consciente da sa solitude : le terrorisme lui portera secours contre sa hantise des « pieuvres ». Cette scission avec l’autre se révèle radicale chez Ferral qui n’arrive jamais à posséder dans le domaine érotique que sa propre image. D’où la frustration et la déception au cœur même de l’acte charnel.

Finalement, c'est Gisors qui incarne, dans sa majesté la terrible, le royaume de la solitude. En vertu de l'opium, il abolit cette distance qui le retranche de la ruée "cosmique" et crée de son isolement le principe de toute existence: "il n'y a pas de connaissance des êtres".

La condition humaine n'est pas cette vaine lamentation sur le malheur puisqu'au fond de la "situation fermée" où voisinent le sordide et l'atrocité, le héros malrucien s'opiniâtre à hurler sa fureur, à poursuivre, en dépit de son délaissement et de son déracinement, cette part de dignité qui lui a été extorquée. Hemmelrich ne s'affranchira de son impuissance qu'en frappant de toutes ses forces sur les portes de la mort. De même, et d'une façon pulsionnelle, le suicide solitaire de Tchen sera une forme de récupération de soi et un défi aux dieux de la contingence.

De cette noire et profonde détresse humaine, naissent la pitié et la tendresse. Au dessus de cet espace clos et étroit où la haine déchire les êtres, plane le chant du sacrifice. La scène où Katow donne son cyanure aux deux condamnés, et accepte le supplice des bûches, est largement significative à cet égard.

On ne supporte pas la condition humaine. En voici la conclusion à laquelle se réfèrent tous les personnages de Malraux à chaque fois qu'ils affrontent une épreuve tragique. L'essentiel, c'est d'assumer jusqu'au bout la cruauté aveugle du destin, de maintenir toujours en éveil cette volonté inflexible de foncer sur l'obstacle.

En dernière instance, l'accusation de la condition humaine renvoie nécessairement à une recherche du sens, à une remise en cause de tout ce qui a trait à l'innommable. Cependant, cette justification, ce besoin impérieux d'interroger n'est pas aléatoire, il est lié intimement à la quête héroïque de la grandeur humaine.

Un roman pluridimensionnel

L'aspect historique:

"Je ne crois pas vrai que le romancier doit créer des personnages, il doit créer un monde cohérent et particulier, comme tout autre artiste".

Cette remarque d'André Malraux ouvre une nouvelle perspective dans le champ romanesque. Désormais, le romancier doit capter nécessairement l'image mouvante d'un monde incohérent et la transmuer en une réalité romanesque particulière et cohérente.

En revanche, cette conception ne correspond nullement à l'idée balzacienne de "faire concurrence à l'état civil" d'autant plus que Malraux répugne à reproduire le réel de manière fragmentée. Chemin faisant, il tend à embrasser la totalité d'une réalité de telle sorte que son œuvre en représente l'écho et la vibration.

Avec la condition humaine, Malraux marque une rupture inéluctable, non seulement avec les conventions formelles du roman traditionnel, mais aussi il souligne un prolongement et un enrichissement d'une vision du monde. Effectivement, le romancier descend dans les tréfonds de l'Histoire, en évoque toute la tragédie pour qu'il puisse donner forme à sa matière romanesque. C'est parce que le cauchemar de l'Histoire a obscurci son imagination, qu'il est allé en quête d'une lucidité aux limites même du désespoir.

L'élément historique devient une constante structurale de l'œuvre. Ainsi le soulèvement révolutionnaire de Shangai confère au romancier à la fois le motif et le cadre de l'écriture. Continuellement, le flux de l'Histoire hante la conscience des personnages. En tant que force aveugle, l'Histoire écrase l'individu et foudroie farouchement toute propension à la quiétude.
Si Malraux s'attache aux troubles de la révolution communiste en Chine, c'est moins par souci de réalisme historique que par adhésion à une expression romanesque qui porte en elle-même les virtualités d'une réalité humaine ou plutôt d'un devenir humain.

Edmond Jaloux note, dans les nouvelles littéraires, que :"le sujet extérieur de la condition humaine est la révolution en Chine. Le sujet profond, c'est vraiment l'état de l'Homme en face de son destin". Sur ce plan, ce roman se prête à une interprétation métaphysique en ce que le romancier épouse le destin de l'Homme et en trace dialectiquement la situation; car la personne humaine n'est pas évoquée sous sa forme sclérosée: elle est placée, irrémédiablement, au foyer d'une situation conflictuelle. Kyo, Hemmelrich, Katow, Tchen sont des personnages qui côtoient désespérément la zone de l'inhumain; ils sont suspendus entre deux pôles extrêmes: une vie à reconstruire et une mort à conquérir. Aussi Malraux privilégie la portée métaphysique sur le déroulement vertigineux de l'Histoire. Celle-ci sera le théâtre de l'affrontement mortel des consciences contre l'injustice d'un monde implacable. De là dérive l'accusation de la condition humaine, condition tyranniquement régie par le poids d'une fatalité innommable. Mais, Malraux s'opiniâtre à chercher une percée lumineuse dans l'enceinte de cette nuit insondable. Dès lors, aucune issue n'est possible à l'exclusion de la voie de l'héroïsme. Acceptation du destin, de la contingence et volonté de dépassement héroïque, tels sont les éléments autour desquels s'articulera le projet malrucien.

Enfin, la condition humaine ne demeure point prisonnière d'une interprétation univoque: le roman requiert une vision pluridimensionnelle aussi bien sur le plan historique que sur le plan métaphysique.

1 - L'aspect historique:

La condition humaine est une transposition d'un épisode de la révolution chinoise, et plus précisément de l'insurrection communiste à Shangai en 1927. Bien que Malraux se soit appuyé sur des événements réels, il n'en demeure pas moins que son livre est conçu comme une "traduction légendaire de la vie extérieure". (Alain Meyer, la condition humaine d'André Malraux). Bien plus, le décor de la Chine des années vingt, l'atmosphère générale dans laquelle a baigné cette révolution, forment un climat favorable à l'inspiration créatrice du romancier. À ce propos, André Rousseaux écrit: "M. André Malraux est un écrivain révolutionnaire parce qu'il a besoin de la révolution pour écrire: la révolution à la mode du vingtième siècle, c'est-à-dire la guerre dans la rue, avec mitrailleuses, bombes d'avions, incendies, flaques de sang, bref, avec tout ce que les modernes machines à tuer donnent à la guerre civile d'atrocité spectaculaire". Roman de participation et d'engagement, la condition humaine se refuse à toute imitation plate du réel. D'ailleurs, Malraux a toujours condamné l'esthétique "réaliste" de la "mimésis". C'est parce que l'Histoire est tragique que l'auteur a créé des personnages dont la conscience est le plus souvent tourmentée et douloureuse. Mais, auparavant, il s'agit de voir en quoi consiste ce heurt historique et quelles sont les forces politiques en présence qui déterminent le déclenchement de cette révolution. Enfin, nous nous demanderons pourquoi le héros malrucien a parié sur l'Histoire plutôt que de se réfugier dans sa subjectivité et son moi singulier.

De prime abord la condition humaine s'inscrit dans un contexte historique assez mouvementé. En mars 1927, Shangai est le théâtre de troubles politiques, dans la mesure où centre économique important, la ville devient l'objet de conflits intérieurs et extérieurs. Elle est occupée par les gouvernementaux dont la dictature s'étend sur tout le nord du pays. De plus, les forces occidentales, soucieuses de préserver leurs intérêts apportent leur soutien à ce régime.

Parallèlement, s'est constitué un parti révolutionnaire nationaliste commandé par Chang-Kai-Shek. Ce dernier organisera une marche militaire, à partir du sud, pour chasser les généraux du gouvernement du nord. Son action entre dans le cadre du Komintang. Celui-ci se ralliera au groupe communiste connu sous le nom du Komintern. Apparemment, leur but est identique : il s'agit de saper le plus vite possible le système dictatorial. Mais bientôt la crise éclatera et les divergences seront inévitables. Chang-Kai-Shek, tout en s'appuyant sur la bourgeoisie, s'applique à démunir les milices ouvrières et les paysans des armes dont ils se sont servi au temps de l'insurrection. La défaite communiste est une fatalité historique qui aura pour répercussions la fuite, l'exil et parfois même l'extermination des adhérents de ce parti.
Partant de cette esquisse historique, Malraux cherche à réactualiser une étape charnière dans l'histoire de la Chine. Cependant, cette "réactualisation" ne doit pas nous faire penser à un reportage ou à un simple témoignage. La condition humaine met à nu une totalité, une "communauté" qui se désagrège. Bien mieux, il expose selon l'interprétation sociologique de Lucien Goldman, une "crise de valeurs" dont l'expression se manifeste à travers "un personnage problématique collectif". (pour une sociologie du roman).

Cette communauté "révolutionnaire" représentée par Kyo, May, Katow, Hemmelrich et leurs camarades se heurte absurdement aux circonstances politiques implacables, et se trouve livrée irrémédiablement à un combat "inhumain" dont elle prévoit déjà la défaite. D'emblée, tout est remis en question dès lors que l'adhésion à l'histoire et à la foi en des valeurs "authentiques" déterminent d'une façon ou d'une autre la fusion de l'individu dans le cortège des insurgés.
"Aussi l'histoire que raconte la condition humaine est non seulement celle de l'action de Kyo, May, Katow, et leurs camarades, l'histoire de leur défaite et de leur mort, mais aussi étroitement liée à cette action, l'histoire de leur communauté qui est une réalité psychique, vivante et dynamique".

Enfin, Malraux n'a pas choisi le thème de la révolution pour sa dimension pittoresque, mais c'est parce qu'elle comporte ce qui est fondamental dans l'Homme: la possibilité de s'arracher à soi.

"Malraux attend de l'Histoire le soutien que l'individu ne peut se donner à lui-même et qu'il ne peut plus recevoir de Dieu". (Gaitan Picon, Malraux pas lui-même).

A la différence de Proust et de Gide dont les préoccupations romanesques demeurent prisonnières des incertitudes du moi et « des intermittences du cœur », le héros .malrucien refuse ou plutôt brise les miroirs de la subjectivité et sonne le glas à une ouverture sur l’acte historique. Il s’agit, en fait, d’échapper au « rêve des pieuvres », de fuir cette angoisse qui habite au plus profond de l’Homme. Parier sur l’Histoire, s’allier à une cause commune dont l’échec probable parait inéluctable, rejoindre des révolutionnaires, des visages anonymes dans la nuit d’une cellule, « compenser par n’importe quelle violence, par les bombes cette vie atroce qui l’empoisonnait depuis qu’il était né, qui empoisonnerait de même ses enfants (il s’agit d’Hemmelrich) », tel est l’ultime choix du protagoniste malrucien. Autant dire que l’action politique correspond à cette exigence impérieuse puisque la révolution n’est pas seulement un mode de réinstauration des structures sociales, mais aussi une récusation plus ou moins littérale des valeurs humaines.

La condition humaine  n’apporte pas de réponse à une problématique sociale et politique à savoir la répression du prolétariat par une caste dominante, mais il suscite une interrogation sur les limites d’une organisation révolutionnaire qui se solde par la déchéance et l’avortement parce que la situation historique n’est pas encore assez mûre pour la création d’un nouvel ordre.

Dans ce monde de débâcle, d’empoisonnement et de supplice, ressurgit le mythe de l’Histoire en ce que celle-ci favorise le retournement tragique des volontés humaines. C’est que dans la condition humaine, la trame des événements dans lesquels sont impliquées les destinées des personnages, ne laisse pas de répit à ceux qui veulent s’y soustraire : « tout est horriblement pur ». Du chaos initial, des insuffisances présentes, des aspirations naissantes et des balbutiements encore incertains, le mythe ressort pour conférer à cet espace exotique, qu’est la Chine, une figure mythique.

La condition humaine met en scène des héros qui, à partir du quotidien le plus trivial, forgent une figure prométhéenne de l’Homme. Kyo, Katow et Hemmelrich incarnent cette lutte inlassable pour la dignité humaine. Du fond de leur désespoir collectif, ils tirent des images terribles et fulgurantes à la fois, susceptibles de fonder en signification une existence absurde et incohérence.

« Ce n’est pas dans le dirigeant communiste réel Chou-En-Lai qu’il convient, ainsi que cela a été suggéré parfois, de chercher les clefs de Kyo, héros de fiction, mais c’est à Néarque et à Polyeucte qu’il faut le comparer ». (André Malraux par lui-même d’Alain Meyer).

Effectivement, le héros malrucien s’identifie, sur la base de l’émulation héroïque, avec le héros cornélien. Derrière la chronique des événements de cette révolution chinoise se détache, sur une toile mythique et emblématique, le visage éternel de « l’Homme révolté » qui ne s’accommode jamais de cette place au soleil parce qu’il sait d’avance « qu’il y a plus de douleurs au monde que d’étoiles au ciel » (condition humaine p.154).

jeudi 8 décembre 2011

Introduction

"Le roman moderne est, à mes yeux, la forme privilégiée du tragique de l'homme, non une élucidation de l'individu."

Sous sa forme la plus explicite, André Malraux définit la création romanesque comme l'expression "privilégiée du tragique de l'homme". En effet, la condition humaine illustre d'une façon catégorique cette orientation dans la mesure où le tragique gît dans tous les replis de cette œuvre : morts, cadavres, mutilations, tortures, douleurs ineffables, atmosphères d'asphyxie, ombres infernales habitant perpétuellement jusqu'à la hantise, cette nuit qui n'est en fait que le reflet de la condition humaine, cet interminable tableau d'horreurs et de scènes sanglantes n'est pas, sans doute, une complaisance ou un jeu de délectation fortuite dans le Mal, mais il est plutôt le corollaire d'une vision du monde et l'aboutissement d'une expérience tragiquement vécue.

À cette notion du tragique s'ajoute le refus de l' "élucidation de l'individu ". Longtemps, le roman traditionnel a été conçu comme une histoire centrée sur un personnage principal qui possède préalablement une conscience transparente dont le trouble, s'il en fut un, n'est qu'un état transitoire et nécessaire à l'évolution de l'intrigue romanesque. À l'inverse, l'œuvre d'art chez André Malraux, charrie principalement dans toute sa profondeur, la problématique de l'existence et du destin de l'homme jeté dans les flots d'une histoire houleuse marquée par une perpétuelle métamorphose et effervescence. D'où l'irruption fondamentale de l'élément historique. Dans André Malraux par lui-même, Gaitan Picon écrit :"l'univers humain de Malraux est continûment celui du conflit et les grands incendies allumés par l'Histoire ne font qu'éclairer les passions rivales qui disputent l'homme. "

À l'origine de tout acte de défi et de dépassement, il ya le sentiment de l'épouvante face au scandale de la mort. Possédé par une inquiétude foncièrement existentielle, le héro malrucien poursuivra son salut par delà les limites de sa volonté; et sa bravade s'inscrit dans un ordre métaphysique dès lors qu'il déploie son énergie spirituelle non seulement pour démolir les contraintes sociales et politiques dans lesquelles il est enlisé, mais aussi il veut échapper à son obsession de l'irrémédiable. En somme, il se livre tout entier pour briser le mur de l'absurde.

Sur ce plan, le chant douloureux de la mort se répercute à travers tout ce roman. Au foyer de chaque épreuve d'affrontement, le spectre de la mort s'interpose et crée un tournant décisif dans le mûrissement graduel de cette expérience. Mais auparavant et avant toute prise de conscience tragique, le romancier décrit un monde de séparation où la solitude des consciences règne en princesse. Bien mieux, tout essai de communication, toute étreinte des corps sont voués désespérément au néant "il n'y a pas de connaissance des êtres" dit Gisors dans la condition humaine. Même si la révolution représente le champ privilégié d'une possibilité de communion, il est inconcevable, du moins pour Tchen qu'elle puisse libérer l'homme de son épouvante et de son isolement intérieur. Paradoxalement, des héros tels que Kyo et Katow arrivent difficilement à exorciser le démon de la solitude et ce ne sera seulement qu'après leur condamnation infernale à une torture et à une mort abjectes :"il (kyo) mourant comme chacun de ces hommes couchés, pour avoir donné un sens à sa vie".

Enfin, Malraux n'a jamais conçu la révolution comme une action ascétique qui délivre, au sens pascalien du terme, l'homme de son angoisse de la mort, elle est plutôt une façon de défier les forces aveugles de l'Histoire et leur substituer, en dernier ressort, la volonté lucide de l'homme.

Ainsi, le recours de Malraux à l'Histoire dans toutes ses fluctuations n'est qu'un prétexte lui permettant de restituer la réalité humaine en gestation : l'insurrection de Shangai dans la condition humaine, laisse entrevoir déjà l'éclatement d'un monde suranné et l'élaboration souterraine d'une nouvelle époque qui prend la forme d'une Révolution.

Toutefois, cette transmutation sur l'axe événementiel du roman, cet acharnement à battre en brèche tout un système de valeurs inadéquates, ne sauraient atteindre leur dimension historique, voire humaine, si le narrateur ne leur avait insufflé un élan héroïque et tragique. Au delà de l'aspect historique, Malraux vise, à travers son édifice romanesque, l'homme écartelé, déchiré dans sa conscience, traqué dans sa fascination de la mort, l'aventurier "lucide" qui porte en lui inlassablement, comme une bête puante, la cicatrice de son néant, la brûlante interrogation: "que faire d'une âme s'il n'y a ni Dieu ni Christ ? " Mais, le héro malrucien ne demeure pas prisonnier de son dilemme; plutôt que de se cloîtrer ou de s'immobiliser dans une attitude nihiliste - à l'exception de quelques rares protagonistes à l'instar de Gisors -; il opte pour l'action et la conquête tragique.

À partir de la condition humaine, nous tenterons de dessiner une trajectoire de cette conquête héroïque, et de déceler à travers le texte, les paliers successifs de cette tension tragique.

Aussi serons-nous amené à nous poser la même question que Malraux, le même suspens :"peut-être l'angoisse est-elle la plus forte, peut-être est-elle empoisonnée dès l'origine, la joie qui fut donnée au seul animal qui sache qu'il n'est pas éternel ..."

mercredi 7 décembre 2011

Mon village

Mon village ! Ta terre n’est plus que le signe de la désolation totale, de la solitude intérieure même si on vit au sein de cette cohue de paysans, de ces gens qui triment dans les vastes champs sous ton ciel flamboyant. Il est bien vrai que l’été brûle tes sentiers tes demeures et tes enfants jusqu’aux entrailles. Mais cela n’a plus d’importance puisqu’on s’y habitue peu à peu.
Mon village ! Pourquoi est-ce qu’on t’a isolé de ce monde indifférent dans ce vallon qui ressemble à je ne sais quoi de plus farouche campagne ? Quand la lumière de l’aurore se glisse sur tes toits obscurs, on voit s’en sortir des troupeaux qui soulèvent un nuage de poussière et on entend un remue-ménage partout. Les hommes et les femmes rejoignent  leur besogne au milieu de l’aboiement des chiens. Leurs visages n’expriment rien que cette cruauté austère et ce dénuement qui se manifeste dans leurs traits. La terre les a durcis, la misère a dissipé en eux toute imagination possible. De même, l’amour de l’argent et de tout ce qu’on pourrait posséder a dominé leur instinct. Pour un morceau de terre, ils recourent aux tribunaux pour résoudre leur litige, quoique cette obstination exige toute leur fortune ou plutôt leur vie. Pourtant, au fond de cette rude nature, ils ont des coutumes particulières qui témoignent de la chaleur humaine.
Le soleil déverse toute sa chaleur, et se concentre ainsi dans les chaumières si mornes et si pauvres qu’elles vous donnent l’impression de les exécrer malgré soi. Naturellement, on est enclin à aimer tout ce qui est beau et charmant. Mais, là-bas, on ne se sent pas à l’aise pour rassasier son âme de la beauté que ces immenses horizons décèlent et où le bleu du ciel s’étend avec toute la fraîcheur des matins ou bien des soirs. Le labeur absorbe totalement ces paysans et les laisse dépourvu des contemplations qui font peupler l’imagination des rêves mystérieux, des illusions magnifiques et de vagues aspirations.
Malheureusement, les champs s’emplissent des êtres dont le regard ne montre que l’amertume et la patience de résister jusqu’au bout, bien que le soleil torride ne cesse de les accabler et de les tracasser. Ils sont là , pourtant, comme des rochers massifs que le flux et le reflux de la mer n’arrivent jamais à ronger. Leur volonté de vivre dépasse ces simples bornes où l’on se croit heureux. En tout cas, ils ne sont pas des monstres ou des héros, mais il s’agit tout simplement des gens qui comprennent ce que le mot « souffrance » comporte de sens, on dirait qu’ils sont voués à un destin mortel et étrange !
A mon village, il n’y a que les va-nu-pieds qui marchent en haillons et avec nonchalance. Il faut penser aussi à ces moments pénibles du midi, car c’est le silence absolu qui substitue le battement des cœurs et le hurlement des hommes et des bêtes à la fois ; tandis qu’un tourbillon de rayons scintille fortement et embrase ardemment les têtes nues des paysans. Midi, c’est le temps d’alerte !!
Mais que faire, si on ne se borne point à se taire ? Avec toute sa force, on a envie de se noyer dans les hauts océans plutôt que de se laisser flamber par la réverbération perpétuelle et sanglante d’un soleil implacable. Cependant, à droite de la vallée, et au détour d’un vaste chemin tortueux, un murmure d’eau déchire le cœur de ce silence, avec son clapotement mélancolique comme si la plainte unique des êtres et des choses continue son haleine au fond de la rivière. L’eau coule doucement, et son miroitement la rend particulièrement très luisante et plus belle à jamais. Là-haut, à peine quelques pas du rivage, des oliviers s’alignent indifféremment, prés des collines qui descendent vers l’est du paysage. Sous les ombrages, les bergers et leurs troupeaux s’endorment paisiblement au milieu du bourdonnement continuel des insectes. On dirait qu’un engourdissement bizarre s’apaisait sur l’ensemble de cette nature qui porte en elle les vagues rancœurs des visages crispés par l’indigence. Ces couleurs ternes, ces longues branches qui s’étendent ainsi que des bras humains, ces monts brûlés, ce fouillis d’ombres, cette brûlure désastreuse qui ravage le sol ; tout cela n’est qu’un tableau noir et morne de la pourriture et de la nausée. Et puis, il y a, le vide blafard du ciel qui couvre, comme un linceul, cette campagne déserte. Une immobilité complète s’impose dans l’atmosphère ; aucune agitation, aucun souffle ne traverse cet air alourdi et imprégné par l’odeur âcre des murailles souillées. Voilà bien des années et des siècles que nos pauvres paysans succombent incessamment sous le temps infernal du midi et souffrent silencieusement dans la misère et la haine, attendant, chacun à son tour l’horrible instant de la délivrance c’est-à-dire la mort.

Le soir venu. Un léger apaisement s’insinue peu à peu dans les âmes affaissées et un long soulagement se voit dans les yeux hagards. Le soleil se précipite dans sa marche glorieuse, comme s’il est épris d’un sentiment de pitié, à l’égard de ces frêles créatures, maîtrisées et soumises par sa seule force qui s’affaiblit maintenant à mesure qu’il s’approche des grandes montagnes prêtes à l’accueillir avec enchantement. Les jets de lumière crépusculaires accompagnés d’un vent céleste et un peu rafraîchissant se dispersent aux alentours de mon village.

Ainsi la vie recommence, un grand tapage renaît dans l’immensité des cieux et de la terre. Et cette jungle humaine ressuscite encore une fois de plus. Elle est là, au fond de sa lassitude, toute pâle d’horreur comme si elle est sortie d’un enfer sans lisières. Un fourmillement des gens et des animaux réapparaît dans une confusion insolite, rien n’est plus consolable que ces dernières heures de la soirée pendant lesquelles le corps reprend sa respiration ordinaire. Mais, après cette longue torture sinistre, c’est le chahut, le bavardage, la frénésie et le délire qui s’emparent de ce monde en léthargie.

La nuit c’est autre chose. De tout coté, le voile sombre et épais de la nuit se forme, se cramponne, s’élargit. A part quelques lampes et bougies allumés, çà et là, derrière les fenêtres et les lucarnes. Mon village, baigne et s’enfonce dans les ténèbres. Au dessus de tout, la lune se dresse majestueusement et rampe au milieu d’un ciel étoilé et doré. Certes, elle peut éclairer ces taudis et ces chemins qui ne mènent nulle part, mais elle n’illumine jamais ces esprits mis au joug de la misère. C’est pourquoi, ils restent ignorants et inconscients de la véritable nuit pleine de serpents venimeux qui se nouent invisiblement autour d’eux et durant toute leur vie.

En effet, la nuit représente aussi un repos éphémère pour nos paysans pour qu’ils puissent lutter dès le lendemain et le surlendemain et pour toujours. Dans ce sens, la nuit passe pour un complice du jour et même toute la nature prépare une sorte d’abattoir pour en finir une fois pour toute avec ces pauvres, les insignifiants, et les comparses de ce petit monde où les peines, les hontes et les supplices des uns font le bonheur et l’honnêteté naïve des autres qui ferment les yeux et se vautrent dans la beauté, le luxe et la pureté.

Lettre à un ami

Salut …
          Je suis dans une attente anxieuse du résultat de l’examen.
          En vérité, toute mon attention est tendue vers ce jour fatal qui déterminera de ce long itinéraire que je me suis retracé. J’avoue que j’ai déployé une volonté diabolique en vue de réussir dans mes études. Ce n’était plus la peur de l’échec qui me poussait à me consacrer entièrement et implacablement dans l’entreprise de mon dessein. Mais, c’est plutôt la rage d’un mal indomptable qui s’empara de moi sans que je m’en aperçus ; c’est cette sacrée « littérature » qui m’a complètement possédé, déchiré et empoisonné. Crois-moi mon ami ! tu ne pourras mesurer l’étendue de cet envoûtement ineffable dont j’étais l’objet et je le serai tant que je vivrai. Ma vie est dorénavant marquée par le sceau de l’irrémédiable. Mille fois, je m’interroge sur la naissance de cette passion obscure qui me fait revivre dans le palais des rêves, des ferventes poésies et des heureux instants. J’admire ces maintes voix qui s’éveillent en moi chaque fois que je m’embarque dans le monde d’une « nouvelle Héloise » ou d’un « voyage au bout de la nuit ». J’adore ces cris désespérés, ces larmes d’amertume que ces grands artistes ont su leur insuffler une nouvelle forme, une nouvelle vie. Le réel m’importune et me tracasse. Avant d’ébaucher cette lettre, j’ai fermé à double clé la serrure de ma porte. Je me suis réfugié dans le silence de ma chambre pour qu’aucun bruit, aucun chuchotement du dehors ne m’atteignent. Autant je me sens seul, autant je me rassure de mes pensées, de mes volontés et de mes désirs. Je voudrais seulement te communiquer cette hantise de l’art, l’expression d’un attachement exacerbé à tout ce qui recrée et transpose cette vie.
          A mesure que l’été approche, je sens déjà cette vague marée de l’art envahir mon être. Les autres voyagent, découvrent un nouveau ciel, et se livrent à d’autres jouissances. Mais, moi, je demeure sous le soleil torride de cette implacable saison. Je me forge un destin singulier. Mon imagination effarouchée se délecte à se nourrir des chimères, des illusions d’autres vies. J’embrasse avec ferveur le silence de cet ultime recueillement qui ressemblerait à la prière. Je sue dans ma solitude. Pourtant, un fleuve de joie et de délivrance monte en moi. Il me semble parfois que la mort m’est plus tolérable que de renoncer à cette folle fantaisie qui habite les fibres de mon cœur.
          Mon ami ! je te parle de cette vocation terrible comme s’il s’agit d’un mal auquel je suis voué irrévocablement, vu que tout excès est un mal en soi. Peut être n’y a-t-il pas d’autre salut que dans l’art. me sentais-je parfois accablé, brisé sous le poids écrasant de l’existence, je m’échappe dans les vagues sites de Lamartine ou je me fais moi-même un « Meursault » qui reconnaît l’absurdité de ce monde.
          L’art a, certes, une fonction rédemptrice, mais il comporte certains périls. On n’en sort jamais sain et sauf quand on affronte les orages et les tempêtes. Il faut plier, tout d’abord, ce corps, cette « carcasse immonde » à certains privations cruelles. C’est notre pensée, notre âme qui sera le sujet de la révélation créatrice. Tout le reste n’est qu’un cortège de mensonges et de vulgarités. Notre pensée devient sublime aussi longtemps qu’elle s’arrache au néant de l’existence.
          J’espère que tu as parfaitement compris cette obsession sans égal. Maintenant, je souhaite que tu me rende compte de tes nouvelles dans la prochaine lettre.
          Au revoir … !

mardi 6 décembre 2011

J’attends la mort
















Près de ton cœur, j’ai vécu l’amour,
Tendre image que tu étais toujours,
Te voici loin de mes espérances,
Et me voici, dans la solitude je m’enfonce.
            J’attends la mort
Là-haut, je lance mes tristes regards,
Au milieu des forets, des déserts je m’égare ;
Oubliant l’heure, mon amour et mon âge,
Suivant des yeux, le ciel et ses grands nuages.
            J’attends la mort.
Ton cher sourire me fait pleurer,
Durant les jours et les longues soirées,
Sans rien dire, je traverse mon chemin,
Sur mon front, je pose mes mains.
             J’attends la mort.
Sans abri, je tourne la tête à la pluie,
J’interroge le vent, le froid et le bruit,
Qui brûlent mes profonds secrets,
Et troublent une bonne nuit sacrée.
             J’attends la mort.
Adieu l’amour, adieu l’horreur ;
Je ne sais ni qui vit ni qui meurt,
Je ne regrette personne sur cette terre ;
Mais, au fond de ma tristesse et de ma misère,
               J’attends la mort.
Comme une flèche aveugle je passe,
Ne regardant ni derrière moi ni en face
Et comme une fleur sèche, je vieilli,
Dans les ténèbres affreuses accueillis,
               J’attends la mort.
Au milieu de mes chagrins ressentis,
Je me demande pourquoi tu as menti,
Simplement pour consoler mon cœur,
Misérable qu’il soit durant les heures.
            J’attends la mort.

Ma ville

Ma ville est une brèche dans l’histoire, une brûlure dans le ciel. Ma ville n’a pas de nom, et pourquoi la nommerait-on si elle dépasse toute interrogation géographique et rejoint, croise le fleuve de la mort. Ce n’est qu’une petite ville pourtant ! Je connais par cœur ses rues étroites, ses impasses où tant de misères sont ensevelies. Il faut l’avouer, ma ville est une bâtarde fière de sa blancheur, de sa saleté, de ses pierres entassées, accumulées à travers les siècles … . Elle étale, comme deux seins rongés par le temps, ses flancs meurtris par le flamboiement du soir, l’heure où les vilaines et mesquines convoitises se mettent en branle. Mais avant toute chose, il y a la voix du muezzin qui déchire le ciel immense : C’est l’appel à la prière, l’unique voix du salut « Dieu est grand, Dieu est grand … » résonances marquant, attestant d’une façon indubitable la présence providentielle de Dieu. A cette vibration sonore, répondent d’autres voix émergeant des autres mosquées. Car il y a partout des mosquées comme si la foi religieuse débordait de toutes les âmes et il n’en faut que des maisons de Dieu pour la faire épanouir et affermir.
              Ma ville s’étend sur deux ouvertures : l’une sur la prison et l’autre sur l’hôpital. Ceci est singulier et même étonnant. J’en ris maintenant que les amarres, qui me liaient à cette ville maudite, sont rompues. Elle est sise comme un creux de main sur une montagne ; mais de toutes les terrasses, on peut jouir librement de ces plaines et ces collines qui descendent et remontent comme des nappes couvertes de maintes couleurs à longueur des saisons.
              Au début, c’est elle qui m’a possédé, fasciné, obsédé. Son image s’est inscrite,s’est incorporé dans mon sang ; je la sens fourmiller de toutes les vies, de tous les mensonges et de toutes les haines. Oui, notre amour ressemble à un baptême douloureux, voué préalablement à l’avortement. Sur chaque muraille, sur chaque porte, il y a une parcelle de ma mémoire sclérosée éternellement !
               Ma ville est une figure de l’absence, de l’ennui ; elle est plutôt la capitale de l’ennui. Il ne s’agit pas de ce simple désoeuvrement et de ce vide intérieur qu’on trouve en chacun de nous : C’est un ennui d’une autre nature, autant dire que c’est une ville ne pouvant être réservé qu’aux retraités, aux aliénés, aux anciens combattants qui portent en eux la nostalgie d’un monde suranné, ruiné à jamais. Cet ennui est une bête puante collée à votre peau et il n’y a plus de refuge que les cafés où le vacarme de toutes sortes de gens et la fumée du tabac et du kif vous pénètre insensiblement jusqu’aux muselles. Ou alors, vous préférer souvent entrer dans une salle de cinéma, se perdre dans le noir et, s’accrocher à une image enchanteresse dont la mouvance perpétuelle efface le quotidien. Mais aussitôt après la fin des illusions, l’ennui revendique sa souveraineté. Dehors,et à la tombée de la nuit, vous battez les mêmes trottoirs ; vous ressentez le même choc du matin, les mêmes visages vous regardent, vous guettent et vous harcèlent.
                   Parfois, une bouffée d’air venant du nord vous fait penser à votre corps que vous traîner librement au sein de même cohue, un corps dont la jeunesse, la force et le feu sont usés et presque éteints comme un bois qui se consume, s’émiette et se refroidit enfin sous une grêle de neige. Avec vos épaules courbés, écrasés sous le poids d’une étrange lassitude, vous frayez pourtant un chemin parmi les marchants ambulants dont les cris de détresse se mêlent  aux plaintes stridentes des mendiants. Maintenant, la ville est illuminée ; de toutes parts grouille un monde qui se réveille de sa léthargie et déverse dans les rues. Vous tentez de vous éclipser, pour n’être pas la proie des mêmes regards, mais vous êtes déjà prisonnier d’un cercle vicieux : là où vous tournez, la morsure demeure la même. Là-bas, au détour d’un jardin public, les prostituées sombrent dans une attente anxieuse de la clientèle qui se fait rare ces derniers temps. Qu’importe ! Le martèlement de vos pas sur le pavé n’est que l’écho du battement du cœur de la ville qui refuse encore de vous communiquer son vrai langage, de vous révéler sa propre boue. Vous balbutiez des mots insensés et vous asseyez soigneusement sur un banc. Le ciel semble d’un calme équivoque. La lune s’estompe derrière un îlot de nuages. Vous avez envie de rêver, d’invoquer un autre ciel plus beau, plus tendre et plus pathétique. Mais la ville, le spectre de la ville s’interpose de nouveau et exclut brutalement les premières esquisses de vos désirs.
                   Ma ville est une légende dans le temps, une percée lumineuse dans la nuit, une cicatrice ouverte sur le vent glacial. Je sais que notre rupture n’a jamais été le jeu d’une complaisance ni l’effet du hasard. Enfin, nous nous reconnaissons si bien qu’il est inutile de dévoiler les secrets. Ensuite tu m’as inculqué déjà ce principe de la discrétion et tu m’as promis une belle mort ; au moins j’aurai un linceul, une surface bien mesurée pour mon enterrement (juste ce qu’il faut pour couvrir mon corps). Bien plus, il y aura toujours un pauvre homme qui lira des versets du coran sur ma tombe. Je crois que ça sera le jour du vendredi. Oui, ta promesse est irrévocable. Notre séparation doit être définitive. Le jour où j’ai à peine commencé à découvrir ton visage ; tu m’as condamné au silence. J’ai refusé carrément de me soumettre à tes compromis. D’ailleurs, c’est moi qui ai raison, tout à fait raison. Pourquoi accepterai-je un tel dépaysement, une telle désolation alors même que de quelque manière que ce soit je mourrai ? Pourquoi recèlerai-je tes secrets tandis que la mort ronge à cette heure même, mon corps ainsi qu’une charogne rejetée sous le soleil ? Non, je te dénoncerai totalement, je te forcerai à reculer devant mes poignantes invectives jusqu’à ce que tu avoues l’inavouable : tu m’a tant humilié et voilà ton tour. C’est simple. Il faut que quelqu’un de nous ait le dernier mot. Ey je ne mourrai que dans la joie et la paix car tout sera consommé, non à la façon dont tu l’as prévu, mais selon mon cœur et ma volonté. Peut être qu’avec le surgissement d’une nouvelle aurore, notre antipathie diminuera-t-elle, et saurons-nous parler avec moins de violence, mais d’ici-là, je n’ai de temps que pour assouvir ma haine intarissable, seul fondement de toute ma vie !!!
 

A la recherche du sujet perdu

 Il était là depuis ce matin à chercher l'ombre d'une seule pensée, l'éclair vertigineux qui ferait rejaillir encore une fois cette source intarissable de l'inspiration. Mais, ce matin là, sur la terrasse du café du "printemps", il était comme abruti par la marche monotone des hommes et engourdi par le soleil cinglant et morbide de l'été. A travers la lumière blanchàtre et écoeurante, il regarde le vide. Qu'allait-il écrire sur ces pages qui semblaient l'appeler avec une sollitude déchirante et aussi profonde qu'un silence mortel ?
   S'il se penchait avidemment sur son passé, il y puiserait peut étre une matière à son oeuvre. Mais non, il n'avait aucune propension à évoquer ses mémoires ni ses confessions qui auraient rebuté terriblement son public. Son récit devait étre impersonnel, aussi impersonnel que cette odeur d'asphalte qui monte à travers les rues désertes et blamboyantes. Tout d'abord, c'était le sujet qui lui échappait comme si une main invisible le lui arrachait de son esprit à chaque fois qu'il le saisissait . Ensuite, sa téte brùlait autant que tout le reste. Enfin, il voulait se lever. Non, un verre d'eau rafraichissait ses tempes. Certes, le sujet habitait quelque part les replis de sa conscience, il pourrait prendre aussi bien la forme d'un visage humulié qui s'écrase contre un mur de la ville, que l'aspect burlesque d'un réve : la cincidence, par exemple, où deux cohues humaines se rencontrent au centre de la ville, l'une célébrant un mariage et l'autre se désolant sur la mort d'un pauvre. Mais ce dernier échappe au cercueil et se mèle parmi les vivants pour accompagner leurs danses. Pourtant, tout celà n'avait pas remué en lui cette verve puissante qui marquait auparavant son écriture. Il continuait à se composer des personnages, des destins, à se reconstruire les débris d'une vie. Mais les rayons blafards du soleil l'importinait de plus en plus.
     Il allait partir quand il a vu un jeune aliéné se tordre les cheveux et éclater d'un rire affreux au milieu de la rue. D'emblée, l'image de la folie humaine et la reverbération du soleil implacable le poussèent à revenir sur ses pas. Il allait reprendre maintenant sa quéte des dimensions de ce sujet. Bientot, une description virulente embraserait les pages impassibles, il écrivait, à vrai dire, un monde déraisonnable, absurde. Toute la question était de faire surgir un protagoniste, un seul protagoniste qui reconnait sa folie et sa descente irrémediable aux enfers! Toutefois, ce sujet commençait à lui déplaire. Maintenant, il était au bout de ses nerfs. Son imagination étouffait sous le poids écrasant à la fois du réel et de la fiction!
    Ses mains tremblèrent. Il déchirerait ces feuilles blanches. Il ne serait jamais un écrivain !!

Le pays de mon rêve























Oh amours blessés ! Ô cœurs brisés !
Venez voir le pays de mon rêve
Où le vent chante sans trêve
Une romance sur l'aube et la vierge rosée
Rassasiez vos âmes de ce vin de la plénitude,
Jusqu'à l'extrême vertige et l'ultime ivresse.
Ces feuilles mortes ! Cette lancinante jeunesse !
Faites-les brûler dans cette adorable solitude
Et la terre noire se meublera de merveilles ;
Et l'orage s'apaisera comme mes vieux sanglots
Et la mer s'arrêtera de gémir comme ses flots
Et nos yeux seront ravis des plus beaux soleils.
Las de rire, je pleure au gré de mon cœur
Qui divague dans les songes et plane
Comme une cigale, de l'azur au platane.
Las de vivre, je dors doucement et je meurs.
Mon cerveau est un large verger
Où dansent les diables de volupté et de l'ironie
Pourtant l'extase de mon pays n'a pas changé.
Avec des mains tremblantes, d'une voix vibrante
Je parle aux fleurs, aux oiseaux qui s'en vont
Dans la voûte du ciel bleu et oscillent au vent.
Je leur raconte mes troubles et cela les épouvante.
Mais moi, je me penche comme un tilleul sur le verre
Et d'un seul coup, je retranche mon passé.
Ces idiotes qui ont sapé mes sereines pensées,
Je les extermine une à une en achevant cette bière.
Le soir, c'est la fête des crépuscules qui me soule ;
L'ardent horizon m’enflamme, me réjouis et m'enivre
A ces feux rougeâtres, à ces derniers sourires je me livre
Tout entier comme une bête assoiffée dans une houle.
Et puis je deviens le spectre des pauvres le plus maudit
Qui traverse comme la foudre toute la ville
Si triste, si froide que je l'embrase de mes idylles;
Et je demeure enfin l'auteur des plus vagues incendies
Rien n'est étrange que le pays de mon rêve
Où les remords s'effacent dans la mémoire
Ainsi que les dernières lueurs du soir
Et les vaniteux, les riches, les hypocrites crèvent.
Si la tempête éclate dans ce silence que je savoure
Mon rire atroce s'avérera plus tenace
Car je suis le spectre, l'horrible face.
D'un monde qui s'écroule déjà avec l'écume des jours
Mes amours sont fades comme des fleurs fanées
Mais je réinvente des plus beaux dans mes rêves
Vestiges d'un naufrage dans ces mornes grèves
C'est pour cela que je ne regrette pas ces moroses années.
Maintenant, laissez-moi rire et rêver si bien
Que l'oubli et les ondes m'emportent au déjà
De l'inconnu, de l'éphémère et de tout ce qui est plat .
Où on rit tellement qu'on ne se souvient de rien.

lundi 5 décembre 2011

Dissertation

Sujet : L’écriture à la première personne permet l’adhésion immédiate du lecteur. Pourtant, elle n’a pas toujours un même objectif. Les genres de l’écriture de soi sont divers, et répondent à des fonctions différentes. En vous appuyant sur les textes du corpus, ainsi que sur l’étude de Si c’est un homme de Primo Levi, vous tenterez d’analyser les motifs pour écrire à la première personne du singulier.

1. Analyse du sujet :
Écriture à 1ps = « je », autobiographie, autofiction, auteur = narrateur = personnage…
Adhésion du lecteur = confiance, pacte de lecture, croire en la véracité du récit, identification / histoire, émotions, expérience, partage d’une expérience…
Objectifs = écrire pour témoignage historique, pour partage expérience ou réflexion, pour réflexion sur l’homme, ou sur un genre littéraire, ou sur les problèmes de la mémoire, ou sur les problèmes de la subjectivité, pour se libérer d’un poids, pour se justifier, pour se montrer sous un aspect différent, pour permettre un échange, une confrontation avec lecteur…
Genres divers = autobiographie, biographie, autofiction, essais, témoignage, correspondance…
Motifs = raisons, écrire pour soi, écrire pour l’autre, écrire de la part des autres, écrire pour les générations futures…

2. Problématique :
Comment l’emploi de la première personne du singulier permet-elle d’agir sur le lecteur ?

3. / 4. Plan  et vérification du plan :
I. La première personne s’appuie sur la confiance du lecteur :
A. Elle nécessite un pacte de lecture et donc une lecture particulière et bienveillante.
B. Elle doit se justifier en tant que parole vraie.
C. Elle permet de partager une intimité, une expérience, à laquelle on peut s’identifier.
II. Mais surtout la première personne permet d’influencer le lecteur :
A. Elle le pousse à réfléchir sur l’homme.
B. Elle lui transmet des informations historiques qui peuvent changer sa vision des choses.
C. Elle montre la subjectivité des événements.

5. Introduction et conclusion :
            C’est avec la naissance du Romantisme et l’émergence de la notion d’individu que l’écriture à la première personne commence à prendre un sens autobiographique, dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle. Depuis, il semble que l’écriture à la première personne facilite l’adhésion immédiate du lecteur. Pourtant, elle n’a pas toujours un même objectif. Les genres de l’écriture de soi sont divers, et répondent à des fonctions différentes. Nous nous demanderons alors comment l’emploi de la première personne du singulier permet-elle d’agir sur le lecteur ? Il est indéniable que le pronom « je » s’appuie sur la confiance que lui accorde le lecteur, pourtant, c’est surtout pour susciter la réflexion que les auteur utilisent le « je ».

            Il apparaît par conséquent que l’écriture à la première personne ne peut exister sans la confiance qui lie l’auteur et son lecteur, et que c’est grâce à cette confiance que « je » parvient à réfléchir et à entraîner la réflexion de l’autre, sur des sujets universels, alors même que l’écriture est personnelle. Le paradoxe de cette écriture qui dévoile une individualité en même temps qu’elle évoque une réflexion générale suppose à l’époque moderne que les auteurs jouent avec ce paradoxe au cœur même de l’autobiographie, en interrogeant les limites du genre, notamment par le biais de l’autofiction, comme c’est le cas dans l’interrogation que se pose le personnage de Manu Larssinet dans Le Retour à la terre de Manu Larcenet.

6. Au propre :

C’est avec la naissance du Romantisme et l’émergence de la notion d’individu que l’écriture à la première personne commence à prendre un sens autobiographique, dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle. Depuis, il semble que l’écriture à la première personne facilite l’adhésion immédiate du lecteur. Pourtant, elle n’a pas toujours un même objectif. Les genres de l’écriture de soi sont divers, et répondent à des fonctions différentes. Nous nous demanderons alors comment l’emploi de la première personne du singulier permet-elle d’agir sur le lecteur ? Il est indéniable que le pronom « je » s’appuie sur la confiance que lui accorde le lecteur, pourtant, c’est surtout pour susciter la réflexion que les auteur utilisent le « je ».

            Tout d’abord, l’écriture à la première personne nécessite que le lecteur aie confiance en la véracité de que qu’il lit, non seulement pour mener une lecture bienveillante de l’œuvre autobiographique, mais aussi parce que ce texte se présente comme vrai et partage une expérience vécue.
            En effet, l’œuvre autobiographique cherche immédiatement à gagner la confiance du lecteur, au moyen d’un pacte de lecture qui doit être noué dès l’incipit, voire même parfois avant. Ainsi c’est dans la préface de Si c’est un homme que Primo Levi affirme « je crois inutile d’ajouter qu’aucun des faits n’y est inventé ». Cette revendication de la vérité semble alors indispensable aux auteurs qui s’essaient à la première personne, comme aux lecteurs qui peuvent lire sans méfiance l’œuvre autobiographique. Par exemple, la même préface signale au lecteur qu’il pourra assouvir pendant sa lecture son besoin de « documents [pour] une étude dépassionnée de certains aspects de l’âme humaine. » Par conséquent, rassuré, le lecteur adhère à la narration de la première personne.
            Cela implique bien sûr que le genre autobiographique se justifie en tant que vrai, en définissant son projet autobiographique, pour permettre de comprendre les intentions de l’auteur. L’incipit des Confessions de Jean-Jacques Rousseau explicite les raisons qui conduisent l’auteur à parler à la première personne : « je veux monter à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature ». Parler de soi pour dire la vérité à tous les hommes, telle est la justification de la rédaction de l’œuvre. Ecrire « je » suppose, pour emporter l’adhésion du lecteur, la justification explicite des motivations de l’autobiographe.
            En outre, l’auteur qui utilise la première personne mène la difficile expérience de partager une expérience personnelle, une intimité. Dans Le Retour à la terre de Manu Larcenet, le personnage du dessinateur, Manu, refuse d’évoquer la possibilité de parler de thèmes personnels, comme celui de la vie de couple, que lui propose son scénariste. Ce qui est mis en scène de façon humoristique dans cette autofiction reste néanmoins une question délicate à soulever, celle qui consiste à dévoiler certains aspects de soi pas forcément valorisants, comme le rappelle Rousseau : « je n’ai rien tu de mauvais, je n’ai rien ajouté de bon. » Dès lors que l’auteur se dévoile, et que le lecteur reconnaît celui-ci dans le narrateur-personnage, l’écriture autobiographique repose bel et bien sur la confiance en la véracité des propos.

            Pourtant, si le pronom « je » revendique sa sincérité, il cherche aussi à influencer la réflexion du lecteur, en réfléchissant lui-même de manière détournée aux événements qu’il rapporte.
            C’est ainsi que l’écriture à la première personne permet tout d’abord de mener une recherche sur la nature humaine. Ainsi Michel de Montaigne se prend pour objet d’étude dans les Essais, désireux de réfléchir sur l’homme en général ; il s’exclame de la sorte : « Quant de fois, étant marri de quelque action que la civilité et la raison me prohibaient de reprendre à découvert, m’en suis-je ici dégorgé, non sans dessein de publique instruction ! » C’est donc pour le lecteur, pour son « instruction » que l’auteur se livre à la première personne, tout en prenant soin de s’auto-analyser. La réflexion universelle sur l’homme passe alors par la parole individuelle du pronom « je ».
            De plus, parce qu’elle se présent comme véridique, l’écriture autobiographique peut témoigner d’une réalité historique et initier une réflexion sur de grands thèmes, comme celui de la haine de l’autre, dans Si c’est un homme, où Primo Levi pousse le lecteur à s’interroger sur ce sentiment facilement condamnable chez les autres, mais pas forcément identifié chez soi : « beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que ‘ l’étranger, c’est l’ennemi ’ » ce qui doit conduire le lecteur, à ne pas considérer le peuple allemand comme ennemi, malgré l’Histoire. Cette pensée, difficile à concevoir a priori, n’est possible à faire admettre que grâce à la première personne, qui montre l’exemple, en quelque sorte.
            En outre, l’expression individuelle ne peut éviter la subjectivité, ce qui contribue à influencer le lecteur, contraint de ne voir que d’un point de vue interne les événements et d’adhérer à la sincérité affirmée des propos. C’est ainsi que les écrivains à la première personne réfléchissent au cœur même de l’autobiographie aux limites et aux contraintes du genre : la question de la chronologie est récurrente et André Gide admet dans Si le grain ne meurt qu’ « [il] écrira [s]es souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. » L’auteur s’interroge sur les problèmes de la subjectivité de la mémoire qui peut déformer les épisodes vécus, ou supposés vécus ; c’est ainsi qu’un souvenir d’enfance de Gide se révèle fort décevant lorsque la mère de ce dernier lui raconte la réalité. Ce questionnement amène ainsi le lecteur à réfléchir lui-même à la façon subjective dont tout individu voit forcément le monde.


            Il apparaît, par conséquent, que l’écriture à la première personne ne peut exister sans la confiance qui lie l’auteur et son lecteur, et que c’est grâce à cette confiance que « je » parvient à réfléchir et à entraîner la réflexion de l’autre, sur des sujets universels, alors même que l’écriture est personnelle. Le paradoxe de cette écriture qui dévoile une individualité en même temps qu’elle évoque une réflexion générale suppose à l’époque moderne que les auteurs jouent avec ce paradoxe au cœur même de l’autobiographie, en interrogeant les limites du genre, notamment par le biais de l’autofiction, comme c’est le cas dans l’interrogation que se pose le personnage de Manu Larssinet dans Le Retour à la terre de Manu Larce